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Les étoiles du soir, qui passaient tour à tour
Dans le pan bleu du ciel que laissait voir la tour,
La virent de là-haut, en traversant l’espace,
Dans la même attitude et dans la même place,
Aux pierres de la tour les membres appuyés,
Les mains jointes tombant sur ses genoux pliés.
Quand sur le blanc du ciel le jour revint éclore,
L’alouette en montant lui gazouilla l’aurore ;
Une noire hirondelle au plumage d’azur
Parut et se percha sur le faîte du mur ;
Aux blocs, en tournoyant, elle froissa son aile,
Et sur un plat rebord se posa tout près d’elle.
Daïdha soupira : « Compatissant oiseau,
Qui descends, pour me voir, dans mon morne tombeau,
Ne les as-tu pas vus, dis-moi, couchés par terre,
Comme des œufs brisés, mes deux petits sans mère ?
Riaient-ils ? pleuraient-ils ? me tendaient-ils les bras ?
Ne vas-tu pas les voir quand tu remonteras ?
N’as-tu pas vu, dis-moi, du bord où tu t’abreuves,
Le beau corps de Cédar roulé dans l’eau des fleuves ?
Oh ! dis-lui que je vais le rejoindre bientôt !
L’amour ne va-t-il pas plus vite que le flot ?
Que tiens-tu dans ton bec, oiseau qui me consoles ?
Est-ce un brin de la mousse ! est-ce un cheveu des saules ?
Ou sur son front flottant, dis-moi, n’as-tu pas pris
Un de ses cheveux d’or pour coucher tes petits ?
Oh ! laisse-moi tomber ce fil que je t’envie,
Un cheveu de sa tête ! un rayon de sa vie !
Un débris de sa mort ! oiseau, laisse-le-moi !
Je n’ai que ce cheveu ! les forêts sont à toi !… ».