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Elle courut, semblable à la biche forcée
Qui revient au chasseur dont le coup l’a blessée ;
Et debout devant lui : « Peuple, dit-elle, et toi,
Lâche égorgeur d’agneaux, ces enfants sont à moi !
Frappez ce sein coupable, et laissez-leur la vie !
Est-ce sur l’innocent que le crime s’expie ?
Peuple, c’est votre sang qui coule dans le leur ;
Remontez à sa source… ils l’ont pris dans mon cœur !
Vengez-vous ! j’ai trompé votre haine jalouse ;
Ils sont fils de Cédar !… et je suis… son épouse !… »
Par cent cris à la fois un cri multiplié
En exécration transforme la pitié.
De surprise et d’horreur Zebdor a fait un geste ;
On détourne les yeux comme d’un lieu funeste ;
Daïdha, qui les voit pas à pas s’écarter,
S’efforce de les joindre et de les arrêter ;
Et pressant les jumeaux d’un bras sur sa mamelle,
Comme pour les rentrer et les cacher en elle,
Déchirant aux cailloux ses genoux et ses flancs,
Les cheveux de poussière et d’onde ruisselants
Collés contre son corps comme un voile qu’on trempe,
S’appuyant d’une main sur le sol elle rampe,
De sa lèvre de marbre elle cherche à presser
Chaque pied tour à tour prompt à la repousser.
Devant elle partout la foule se disperse,
Sur son cou suppliant sa tête se renverse ;
Elle fond en sanglots, elle joint ses deux mains,
Adjure par leurs noms ses frères inhumains,
De sa mère à ses sœurs sur ses genoux se traîne :
« N’est-il donc parmi vous aucune qui les prenne ?