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Se guidant, pour trouver Cédar aux sommets sombres,
Sur les mugissements des troupeaux dans les ombres,
Aux pieds de son époux elle avait déposé
Ce fruit tombé du cœur et de pleurs arrosé.
« Tiens, avait-elle dit, cache-les ; l’heure presse :
La mort les cueillerait jusque sous ma caresse ;
Pour leurs lèvres déjà tout mon sang blanc coulait,
Mais il faut que le roc s’arrose de mon lait,
Et que de ton troupeau la plus douce gazelle,
Écartant son petit, leur laisse sa mamelle.
Ô Cédar ! couve-les la nuit sur tes genoux,
Abrite-les du cœur, car ils sont nés de nous ;
Aime-toi dans leurs yeux, car ils sont ton image ;
Revois-moi sur leurs fronts, car ils ont mon visage ;
Dérobe-les à l’œil de leurs persécuteurs !
Je fuis, le jour m’épie, et s’il me voit, je meurs.
Que de ma vie encore ils boivent une goutte !
Ah ! que ne, peuvent-ils d’un trait l’épuiser toute !
Cédar, dieu de mon cœur, ils sont beaux comme toi !
Pour qu’ils m’aiment aussi, dis ! parle-leur de moi !
Chaque brise des nuits qui souffle de la plaine
Vous portera l’amour dont ma tristesse est pleine ! »
Et les posant à terre, et revenant dix fois,
Elle reprit enfin sa course dans les bois,
En couvrant de ses mains ses oreilles fermées,
De peur d’entendre un cri de ces voix trop aimées,
Et de ne pouvoir plus s’arracher à l’amour.
Avant que le vallon se colorât du jour,
Elle rentra furtive au seuil de ses alarmes,
Et la grotte trois jours but son lait et ses larmes.