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Ne montrant qu’à la nuit sa touchante pâleur,
Comme un lis dont la lune épanouit la fleur,
Daïdha, du proscrit mystérieuse femme,
D’un ange dans son souffle avait aspiré l’âme :
Elle avait, de la mère éprouvant les langueurs,
Dans son sein étonné senti battre deux cœurs,
Et compris, à la fois affligée et ravie,
Qu’au fond de sa douleur germait une autre vie.
Au neuvième croissant de la lune d’été,
Sans témoin sur la mousse elle avait enfanté ;
Ainsi que la fleur double, en ces temps de prodige,
De deux fruits à la fois chargeait la même tige,
Deux jumeaux souriants, gages d’un même amour,
Au même cri de joie avaient reçu le jour,
Et de la vie offerte à leur lèvre jumelle
Sucé la double goutte à sa double mamelle.
L’un était une fille, et l’autre était un fils :
Quand les premiers baisers sur leurs lèvres cueillis
Eurent rassasié son regard de leurs charmes,
Que ses yeux à son lait eurent mêlé leurs larmes,
Qu’elle les eut nommés de deux noms dans son cœur,
L’un Sadir, l’autre Hella, disant joie et douleur ;
Pour dérober leur vie, à l’ombre du mystère,
Au gouffre où l’on jetait les fruits de l’adultère,
Elle passa le fleuve à la nage deux fois,
Chaque fois de l’un d’eux son cou portant le poids,
Comme deux lionceaux que la lionne abreuve
Sont portés par leur mère à l’autre bord d’un fleuve ;
Puis les pressant, trempés et criants, dans ses bras,
Les réchauffant du cœur et marchant à grands pas,