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Dans ses bras recourbés il la prit triomphant,
Comme dans son berceau la mère son enfant ;
Il l’enleva de terre en gémissant de joie,
Et ravi de montrer aux étoiles sa proie,
L’élevant à son cœur sans en sentir le poids,
Il la porta muette aux profondeurs des bois :
« Fuyons, lui disait-il à lèvres demi-closes,
Pour que la lune au ciel n’entende pas ces choses.
Son rayon sur les eaux semble épier nos pas ;
Fuyons, pour qu’à ta mère il ne les montre pas ! »
Et la vierge en tremblant lui rendait ses caresses,
Nouait son cou robuste avec ses longues tresses,
Et croyait, en sentant son souffle sur ses yeux,
Que le vent emportait son esprit dans les cieux.
« Ô Cédar ! disait-elle, ô que la mort est forte
Quand on y court ainsi sur l’amour qui vous porte !
Ô Cédar ! disait-elle, emporte où tu voudras
L’esclave de ton cœur, dont la chaîne est ton bras ;
Sauve-toi de leurs fers dans ce seul cœur de femme ;
Sois l’esclave de tous et le roi de mon âme !
Oh ! que n’ai-je, ô Cédar ! cent cœurs et cent beautés
Pour te rendre en amour tant de félicités ? »

Loin du jour importun, de la lune jalouse,
Penchait au bord du fleuve un tertre de pelouse,
Où des arbres géants dans l’onde enracinés
Répandaient sur son cours leurs rameaux inclinés ;
La végétation, sous leur ombre féconde,
Que nourrissait la terre et désaltérait l’onde,