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Dit-elle en lui fermant les lèvres d’un baiser,
Non, je ne fuirai pas, dût leur main m’écraser !
Puisqu’à travers nos yeux la malice des femmes
À découvert l’amour dans les plis de nos âmes,
Cet amour que nos cœurs ne s’étaient dit jamais,
Qu’il parle et que je meure ! Oui, c’est toi que j’aimais !
Oui, c’est toi, toi qu’avant d’avoir vu ton visage,
Dans mes rêves d’enfant, j’embrassais en image !
C’est toi que je voyais quand je fermais les yeux,
Comme on voit dans la mort l’esprit de ses aïeux !
Lorsque tu descendis, qui sait ? du ciel peut-être,
Sans t’avoir jamais vu, je crus te reconnaître.
Je reçus de ta main le salut de mes jours,
Sans m’étonner du bras qui vint à mon secours :
À l’amour dont mon cœur ne sait pas la naissance,
Le ciel n’ajouta rien par la reconnaissance ;
Mais la tendre pitié l’enfonça dans mon cœur,
Comme en foulant la graine on fait germer la fleur.
À leurs inimitiés opposant ma tendresse,
J’égalais à leurs maux ma pitié vengeresse,
Et plus ils t’écrasaient à terre devant moi,
Plus dans mon cœur saignant je me donnais à toi !
Quel lien l’un vers l’autre attire ce qui s’aime ?
Vers l’arbre où tu dormais mes pieds allaient d’eux-même ;
L’herbe ne sentait pas ces pieds légers marcher,
Qui du sol, au retour, ne pouvaient s’arracher !
Rentrée avec ton ombre au fond de nos demeures,
Mon ennui dans le ciel comptait toutes les heures ;
J’aurais voulu dormir ou retrancher du jour
Celles qui séparaient le départ du retour !