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Le sommeil descendit dans l’antre de l’aïeule ;
Et, dévorant son cœur, Daïdha resta seule.

Cependant, quand aux eaux le troupeau descendit,
Par des bouches de femme un bruit se répandit :
La perle de Phayr perdue et profanée !
Par l’œil de l’étranger Daïdha fascinée !
Un murmure d’horreur de toutes parts monta ;
La foule vers Cédar courut et s’ameuta.
L’esclave poursuivi, sans armes et sans juge,
Près du seuil de Selma vint chercher un refuge.
Mais, devançant ses pas, les mères, les enfants,
Et de son front courbé ses rivaux triomphants,
Excités par la haine et par la jalousie,
Satisfaisaient sur lui leur lâche fantaisie.
« C’est donc toi, criaient-ils, qui de nos chastes sœurs,
Vil chacal de la nuit, nous dérobes les cœurs !
À toi, honteux muet qui n’es pas même un homme,
Brute qui ne sais pas le nom dont on te nomme ;
Toi sur qui le regard en tombant se salit,
Que l’onagre et le chien chasseraient de leur lit ;
À toi la fleur des yeux que notre âme respire ?
Daïdha ? » Puis mêlant la rage avec le rire,
L’un a l’envi de l’autre inventait un affront,
Lui lançait la poussière ou la salive au front ;
Et, n’osant par la mort satisfaire leur rage,
Chacun lui prodiguait le supplice et l’outrage.
Quand leur vil cœur enfin d’insultes fut vidé,
Il resta sur la terre à demi lapidé.