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« À l’opprobre, dit-elle, ô fille, sois moins prompte !
Rentre ! de tout cela rien n’est vrai que ta honte !
Rien n’est vrai que le cri qui vient de te trahir,
Cri qui refoule au cœur tout le sang de Phayr !
Le fruit mûr de Selma pour la dent de l’esclave !
Ô mères, écrasez la fille qui nous brave !
Dieux, qui me trahissez, brisez-vous sur le seuil !
Antres, tombez sur elle, et soyez son cercueil !
Oh ! cachez ce mystère, ô mères, à vos filles :
L’horreur s’en répandrait dans toutes les familles :
Les sœurs en parleraient, et se diraient : « Sais-tu
» Que pour un vil esclave un cœur libre a battu ? »
Et le sang des aïeux, s’il savait ce mystère,
De honte et de courroux bouillonnerait sous terre !
De ce seuil profané fuyez toutes !… Et toi
Qui jadis fus ma fille et n’es plus rien pour moi,
Dans la nuit de la honte et de la terre rentre !
Que jamais ton secret ne sorte de cet antre !
Que jamais sur tes yeux ne tombe l’œil du jour
Jusqu’à ce que ton fiel ait bu tout ton amour,
Jusqu’à ce que, tes pleurs rendant ta lèvre amère,
Tu viennes à mes pieds, et me dises : « Ma mère,
» J’ai lavé cette tache avec l’eau de mes yeux :
» Unissez votre fille au fils de vos aïeux ! »
Et prenant Daïdha par une longue tresse,
Comme un chien qu’aux forêts le chasseur mène en laisse,
Elle la conduisit au fond de l’antre obscur,
Où des racines d’arbre avaient fendu le mur,
Et par ses noirs cheveux aux racines liée,
Elle la laissa là comme une âme oubliée.