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Ou, quand elle sentait des yeux d’homme sur elle,
Son dédain s’affligeait de leur paraître belle.
Elle eût voulu, cachée ou laide aux yeux d’autrui,
N’être visible et belle ici-bas que pour lui !
Mais ses rayons en vain voilés d’indifférence
N’en répandaient pas moins l’extase et l’espérance ;
Et les fils de Phayr, qui d’elle s’enivraient,
De son choix différé tous les jours murmuraient.
« Quand la fleur de la vigne a parfumé la plaine,
Disaient-ils, que la grappe est colorée et pleine,
On ne la laisse pas, aux pampres serpentants,
Attendre une autre fleur et de seconds printemps.
L’enfant lève les bras, la respire et la cueille,
Sans quoi l’automne pâle en vient jaunir la feuille,
Et les vents de l’hiver soufflent et font tomber
Les grains, que les oiseaux viennent lui dérober. »
Les pères mécontents à la fin s’entendirent
Pour parler à Phayr ; trois vinrent et lui dirent,
Et tous hochaient le front pendant que l’un parlait :
« Quand la brebis regimbe et refuse son lait,
Père, la laisse-t-on au gré de ses caprices
Le perdre avec sa laine au flanc des précipices ?
Non : le berger soigneux approche son petit,
Qui bêle à ses côtés de soif et d’appétit ;
Et, fléchie à sa voix, de sa blanche mamelle
Le lait qu’elle retient entre ses doigts ruisselle.
Quand la poule et le paon, qui pondent à l’écart,
Vont semer sous les bois leurs œufs faits au hasard,
Les laisse-t-on ainsi sans nid et sans familles
Semer pour le renard leurs fécondes coquilles ?