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Quelquefois, sans oser lui parler la première,
Elle posait le lait du jour sur une pierre
Sans rien dire, et, pendant qu’il ne la voyait pas,
Derrière les cyprès s’en allait à grands pas ;
Puis cent fois, pour le voir, vainement retournée,
Emportait du malheur pour toute une journée.
D’autres fois, sous les ifs s’asseyant loin de lui,
Sa main à son menton servant de point d’appui,
Elle le contemplait des heures en silence,
Comme un être qu’on n’ose admirer qu’à distance ;
Et son esprit absent, malgré ses yeux ouverts,
Semblait suivre du cœur des songes dans les airs ;
Puis elle les baissait si tristement à terre,
Que Cédar ne pouvait s’éloigner ni se taire,
Mais que, s’approchant d’elle, et d’un ton de voix doux,
Il parlait le premier, et disait : « Qu’avez-vous ? »
Alors, comme quelqu’un qu’en sursaut on secoue,
Il lui tombait des yeux deux gouttes sur la joue :
Avec un faux sourire elle les essuyait,
Puis avec les pensers la tristesse fuyait ;
Tout son cœur s’exhalait dans de douces paroles ;
Sa tendresse enfantine avait des larmes folles,
Et semblait s’enivrer de son délire, exprès
Comme pour oublier que la mort était près.

Or la charmante enfant, pleine de sa pensée,
Marchait en revenant la paupière baissée,
Et distraite au retour ne s’apercevait pas
De l’admiration qu’excitaient ses appas ;