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« Les esclaves, dit-elle, est-ce qu’ils ont des dieux
Est-ce qu’ils ont des fils, eux qui n’ont point d’aïeux ? »
Et, lui montrant du doigt un grand monceau de pierre
Dans un site lugubre au bord de la rivière :
« Un jour, un jour, dit-elle en abaissant la voix,
Les mères en passant me l’ont conté cent fois,
Une fille… son nom est devenu sa honte…
La pierre sur son corps tous les jours tombe et monte ;
Toujours détournant l’œil, et toujours maudissant,
Chacun de nous y jette une pierre en passant,
Et dit en la jetant : « Qui l’imite périsse
» Dans la même infamie et le même supplice ! »
Cédar, depuis ce jour, quand Daïdha venait,
Pensif, dans son élan d’abord se retenait ;
On voyait, dans l’effort, lutter sur son visage
L’instinct ardent du cœur contre une sombre image ;
Souvent inattentif pendant qu’elle parlait,
De ses cils abaissés son regard se voilait,
Et l’on voyait sa peau, par un frisson ridée,
Frémir comme nos fronts que traverse une idée.
Mais plus il était triste, et plus la douce enfant,
De sa feinte froideur heureuse en triomphant,
Par le son de la voix et de chastes caresses
S’efforçait de percer l’ombre de ses tristesses.

Si quelquefois en vain son amour l’essayait,
En face de Cédar, triste, elle s’asseyait ;
Sur ses deux genoux joints elle appuyait la tête,
Comme sur un appui qu’un frère aimé nous prête,