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fanterie, qui marchait entre les roues et les maisons; un régiment de cavalerie de ligne formait l’arrière-garde, suivie encore de trois pièces de canon. Chacun des soldats qui composaient ce jour-là la force armée de Paris avait été choisi et désigné par la commune sur les renseignements des chefs. Les fusiliers portaient seize cartouches dans leur giberne. Prêts au feu, les bataillons ou escadrons de l’escorte marchaient à une distance telle les uns des autres, qu’à la première alarme ils avaient l’espace nécessaire pour se former en bataille. Les citoyens désœuvrés étaient rudement écartés de la voie publique et renvoyés à leurs travaux. Les allées d’arbres qui encaissent les boulevards, les portes et les fenêtres des maisons étaient encombrées de têtes. Tous les regards cherchaient le roi. Le roi lui-même regardait la foule, soit que ses yeux, longtemps sevrés de la vue des hommes assemblés, éprouvassent une jouissance machinale à les revoir, soit qu’il cherchât dans la physionomie de ce peuple quelque signe d’intérêt ou d’attendrissement. Sa figure, altérée par tant de mois de souffrances et de reclusion, frappait le peuple sans l’attendrir. L'ombre du Temple avait imprimé à son teint ce ton livide qui semble un reflet des cachets. Sa barbe, qu’il avait été forcé de laisser croître depuis qu’on lui avait enlevé tous les instruments tranchants de toilette, hérissait son menton, ses joues et ses lèvres de poils blonds touffus, rebroussés, qui enlevaient toute expression et même toute mélancolie à sa bouche. Sa vue basse flottait égarée et éblouie sur la foule, comme un regard qui cherche en vain un front ami pour se poser. La grosseur précoce de sa taille ; amincie au feu de ses inquiétudes et de ses veilles, s’était changée en maigreur. Ses joues décharnées retombaient en plis sur son