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Il y avait alors à Paris un de ces hommes énigmatiques qui tiennent à la fois de l’intrigant et de l’homme d’État ; subalternes et anonymes, ils jouent, sous le nom d’autrui, des rôles cachés, mais importants dans les affaires. Hommes de police autant que de politique, les gouvernements qui les emploient et qui les méprisent payent leurs services non en fonctions, mais en subsides. Manœuvres de la politique, on les salarie au jour le jour ; on les lance, on les compromet, on les désavoue, quelquefois même on les emprisonne : ils souffrent tout, même la captivité et le déshonneur, pour de l’argent. Ces hommes sont des choses à vendre auxquelles leur talent et leur utilité mettent le prix : tels furent Linguet et Brissot ; tel était alors un certain Favier.

Ce Favier, employé tour à tour par M. le duc de Choiseul et par M. d’Argenson à rédiger des mémoires diplomatiques, était consommé dans la connaissance de l’Europe. Il était l’espion vigilant de tous les cabinets, il en savait les arrière-pensées, il en devinait les intrigues, il les déjouait par des contre-mines dont le ministre des affaires étrangères qui l’employait ne connaissait pas toujours le secret. Louis XV, roi de petites pensées et de petits moyens, ne dédaignait pas de mettre Favier dans la confidence des trames qu’il ourdissait contre ses propres ministres. Favier était l’intermédiaire de la correspondance politique que ce prince entretenait avec le comte de Broglie, à l’insu et contre les vues de son cabinet. Une telle confidence, soupçonnée plus que connue des ministres, un talent d’écrivain distingué, des connaissances vastes en droit public, en histoire et en diplomatie, donnaient à Favier un crédit sur l’administration et une influence sur les affaires très--