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Resté presque seul à l’arrière-garde, il se fait un rempart du cadavre de son cheval et blesse trois hussards ennemis. Criblé de balles et de coups de sabre, la cuisse engagée sous le corps de son cheval, deux doigts de la main droite coupés, le front déchiré, les yeux brûlés d’un coup de feu, il combat encore et ne se rend prisonnier qu’au baron de Beker, qui le sauve et le fait porter au camp des Anglais.

Sa jeunesse et sa séve le rétablissent au bout de deux mois. Destiné à se former à la victoire par l’exemple des défaites et de l’impéritie de nos généraux, il rejoint le maréchal de Soubise et le maréchal de Broglie, et il assiste aux déroutes que les Français doivent à leur envieuse rivalité.

À la paix, il va rejoindre son régiment en garnison à Saint-Lô. En passant à Pont-Audemer, il s’arrête chez une sœur de son père. Un amour passionné pour une des filles de son oncle l’y retient. Cet amour, partagé par sa cousine et favorisé par sa tante, est combattu par son père. La jeune fille désespérée se réfugie dans un couvent. Dumouriez jure de l’en arracher ; il s’éloigne ; le chagrin le saisit en route, il achète de l’opium à Dieppe, s’enferme dans sa chambre, écrit un adieu à son amante, un reproche à son père, et s’empoisonne ; la nature le sauve, le repentir le prend, il va se jeter aux genoux de son père, et se réconcilie avec lui.

À vingt-quatre ans, après sept campagnes, il ne rapportait de la guerre que vingt-deux blessures, une décoration, le grade de capitaine, une pension de six cents livres, des dettes contractées au service, et l’amour sans espoir qui rongeait son âme. Son ambition aiguillonnée par son amour lui fait chercher dans la politique cette fortune que la guerre lui refuse encore.