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esprit aiguillonnait ses sens. Il craignit que ses forces physiques ne vinssent à le trahir. On lui apporta du pain, du vin, des viandes froides ; il mangea avec autant de calme qu’il l’eût fait à un rendez-vous de chasse après une longue course à cheval dans les bois de Versailles.

La reine, qui savait que les calomnies populaires traduisaient les forts besoins de nourriture du roi en grossière sensualité et même en ivrognerie, souffrait intérieurement de le voir manger dans un pareil moment. Elle refusa tout, le reste de la famille l’imita. Elle ne parlait pas ; ses lèvres étaient serrées, ses yeux ardents, secs, ses joues enflammées ; sa contenance triste, abattue, mais toujours ferme ; ses bras affaissés, reposant sur ses genoux comme s’ils eussent été liés : le visage, l’expression, l’attitude d’un héros désarmé qui ne peut plus combattre, mais qui se révolte encore contre la fortune.

Madame Élisabeth, debout derrière son frère et le couvant des yeux, ressemblait au génie surhumain de cette maison. Elle ne participait aux scènes qui l’environnaient que par l’âme du roi, de la reine et des enfants. La douleur n’était sur son visage qu’un contre-coup qu’elle sentait seulement dans les autres. Elle levait souvent les yeux au plafond. On la voyait prier intérieurement.

Madame Royale versait de grosses larmes que la chaleur séchait sur ses joues. Le jeune Dauphin regardait dans la salle et demandait à son père les noms des députés. Louis XVI les lui désignait, sans qu’on pût apercevoir dans ses traits ou reconnaître au son de sa voix s’il nommait un ami ou un ennemi. Il adressait quelquefois la parole à ceux qui passaient devant la loge en se rendant à leur banc. Les uns s’inclinaient avec l’expression d’un douloureux respect ;