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Le roi rentra défait, inondé de sueur, le désespoir dans l’âme, la rougeur sur le front. Pendant tout le trajet du pont tournant aux Tuileries, il avait dévoré le désespoir et l’ignominie. Il avait vu brandir de loin contre sa personne les piques, les sabres, les baïonnettes rassemblés pour le défendre. Les poings levés, les gestes meurtriers, les apostrophes cyniques, les mouvements de rage de quelques forcenés s’efforçant de descendre de la terrasse dans le jardin pour venir fondre sur son escorte, retenus à peine par leurs camarades et se vengeant de leur impuissance par leurs imprécations, l’avaient accompagné jusqu’à la porte. Son faible cortége n’avait pu même le préserver de danger pour sa vie. Un homme, en uniforme de garde national, d’une figure sinistre, portait souvent la main sous son uniforme, comme pour y chercher un poignard, et suivait le roi pas à pas. Un grenadier s’attacha à cet homme et se plaça sans cesse entre le roi et lui. En rentrant au poste, après avoir mis le roi à l’abri dans son palais, ce grenadier s’évanouit d’horreur de la scène dont il avait été témoin.

À peine Louis XVI était-il rentré que deux de ces bataillons du bord de l’eau sortirent par la grille du Pont-Royal, avec leurs canons, et se rangèrent en bataille sur le quai, entre le jardin et le pont, pour attendre les Marseillais et pour attaquer ensemble. Deux autres bataillons se débandèrent dans la cour Royale. Ils rentrèrent au Carrousel et s’y postèrent pour attendre les bataillons en retard et pour les entraîner dans leur défection. Une masse immense de peuple, de fédérés de Brest, d’insurgés des faubourgs, s’accumula sur la place, autour de ces bataillons.