Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tent et folâtrent autour de lui. Ce groupe de magistrats et de gardes nationaux se promène tranquillement aux clartés de la lune sur la terrasse du bord de l’eau, en s’entretenant de choses légères, comme dans une soirée de fête. À l’extrémité de la terrasse, ils entendent battre le rappel au château. Ils reviennent. Le ciel était pur, l’air immobile. On entendait distinctement le tocsin des faubourgs. Pétion, qui affectait une impassibilité stoïque et qui dissimulait le danger, laissa Rœderer remonter seul auprès du roi. Il resta dehors, sur la terrasse près du grand escalier. Il craignait pour ses jours.

Quoique la nuit ne fût pas obscure, le château projetait son ombre très-loin sur le jardin. On avait posé des lampions allumés sur les dalles de pierre qui bordent la terrasse. Quelques grenadiers des Filles-Saint-Thomas, dont le bataillon stationnait sur cette terrasse, et qui abhorraient dans Pétion l’instigateur secret de l’insurrection, éteignirent du pied les lampions, et se pressèrent autour du maire comme pour faire de lui un otage. Il comprit le mouvement. Il entendit des mots, il entrevit des gestes sinistres. « Sa tête répondra des événements de la nuit, » dit un grenadier à ses camarades. Masquant ses craintes sous une attitude rassurée, Pétion s’assit sur le rebord de la terrasse, au milieu de quelques officiers municipaux, à quelque distance des grenadiers. Il affecta de causer tranquillement une partie de la nuit avec ceux qui l’entouraient. On murmurait tout haut au château et dans les rangs des défenseurs du trône que, puisqu’il avait eu l’audace de venir affronter la vengeance des royalistes, il fallait le retenir et l’exposer lui-même aux coups qu’il préparait à la monarchie. Un officier municipal, nommé Mouchet, voyant la situation em-