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ni unité, ni dévouement. Le soldat volontaire ne connaissait pas ses officiers ; l’officier ne comptait pas sur ses soldats. Personne n’avait confiance dans personne. Le courage était individuel comme les opinions. L’esprit de corps, cette âme des troupes, leur manquait. Il était remplacé par l’esprit de parti.

Mais les opinions, au lieu d’être la force, sont le dissolvant des armées. Chacun avait son opinion et cherchait à la faire prévaloir dans des controverses qui devenaient souvent des rixes. Ceux-ci voulaient qu’on prévînt l’attaque, et qu’on marchât sur l’hôtel de ville et sur les principaux débouchés des colonnes du peuple, pour dissoudre les rassemblements avant qu’ils se fussent grossis ; ceux-là demandaient qu’on allât bloquer les Marseillais, encore immobiles dans leur caserne des Cordeliers, les désarmer avec du canon et étouffer ainsi l’incendie dans son principal foyer ; le plus grand nombre, craignant la responsabilité du lendemain s’ils portaient les premiers coups, et enfermés dans la légalité stricte, comme dans une forteresse, voulaient qu’on attendît avec impassibilité l’agression du peuple, et qu’on se bornât à repousser la force par la force, selon la lettre de la constitution. Puritains de la légalité, ils croyaient que la constitution se défendrait d’elle-même.

Quelques-uns se répandaient en sourdes imprécations contre le roi, dont les faiblesses, palliées par des trahisons, avaient amené la patrie à ces extrémités au dehors, les citoyens à cette crise au dedans. Ils montraient du geste les fenêtres du palais et maudissaient une cour perfide qui enlaçait un roi bon, mais impuissant, et qui versait ces calamités sur la patrie. Les canonniers disaient tout haut qu’ils pointeraient leurs pièces sur le château plutôt que de tirer