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qui dédaignent les détours, qui se découvrent devant l’ennemi et qui croient que la haine active et déclarée est la meilleure politique contre les institutions qu’on veut détruire. Chabot et Grangeneuve étaient des conciliabules de Charenton.


V

Un soir, ils sortirent ensemble d’une de ces conférences affligés et découragés des hésitations et des temporisations des conspirateurs. Grangeneuve marchait la tête baissée et en silence : « À quoi penses-tu ? lui dit Chabot. — Je pense, répondit le Girondin, que ces lenteurs énervent la Révolution et la patrie. Je pense que, si le peuple donne du temps à la royauté, le peuple est perdu. Je pense qu’il n’y a qu’une heure pour les révolutions, et que ceux qui la laissent échapper ne la retrouvent pas et en doivent compte plus tard à Dieu et à la postérité. Tiens, Chabot ! le peuple ne se lèvera pas de lui-même ; il lui faut un mobile, il lui faut un accès de rage et d’effroi qui lui donne le redoublement d’énergie dont il a besoin au dernier moment pour secouer ses vieilles institutions. Comment le lui donner ? J’y pensais, et je l’ai enfin trouvé dans mon cœur. Mais trouverai-je également un homme capable de la résolution et du secret nécessaires à un pareil acte ? — Parle, dit Chabot, je suis capable de tout pour détruire ce que je hais. — Eh bien, reprit Grangeneuve, le sang est l’ivresse du peuple ; il y a du sang pur