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nement quelconque qui, en poussant le peuple aux extrémités, rendît toute réconciliation impossible entre la nation et le roi. Ne voyant pas surgir cette occasion d’elle-même, ils pensèrent à la faire naître artificiellement. Il fallait un prétexte à l’insurrection ; ils voulurent le lui donner, même au prix de leur vie.

Il y avait alors à Paris deux hommes d’une foi intrépide et d’un dévouement fanatique à leur parti : c’étaient Chabot et Grangeneuve. Grangeneuve était Girondin, homme d’idées courtes, mais inflexibles, n’aspirant qu’à servir l’humanité en soldat obscur, sentant bien que la médiocrité de son génie ne lui laissait d’autre moyen d’être utile à la liberté que de mourir pour elle. Caractères dévoués qui donnent leur sang à leur cause sans demander même qu’elle se souvienne de leurs noms.

Chabot, fils d’un cuisinier du collège de Rodez, élevé par la charité de ses maîtres, enivré dans sa première jeunesse d’une ascétique piété, avait revêtu la robe de capucin. Il s’était signalé longtemps par une mendicité plus humble et par une sordidité plus repoussante dans cet ordre mendiant, parmi ces Diogènes du christianisme. Esprit mobile et excessif, la première contagion des idées révolutionnaires l’avait atteint dans la cellule de son monastère. La fièvre de la liberté et de la transformation sociale avait allumé son âme ; il avait secoué sa foi et son froc. L’éclat de son apostasie, son ressentiment contre les autels de sa jeunesse, la fougue et le déréglement de ses prédications populaires, l’avaient signalé au peuple et porté à l’Assemblée législative. Caché derrière Robespierre et Pétion, il voyait au delà de la constitution de 91 la ruine de la royauté ; il y aspirait ouvertement. C’était un de ces hommes