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d’aristocrate. Un peu plus loin, une horde de chiffonniers couverts de haillons dressait au-dessus de la foule une lance autour de laquelle flottaient les lambeaux déchirés de vêtements humains, avec ces mots : Tremblez, tyrans, voilà les sans-culottes  ! L’injure que la richesse avait jetée à l’indigence, ramassée par elle, devenait ainsi l’arme du peuple.

Cette armée défila pendant trois heures dans la rue Saint-Honoré ; tantôt un redoutable silence, interrompu seulement par le retentissement de ces milliers de pas sur le pavé, oppressait l’imagination comme le signe de la colère concentrée de cette masse ; tantôt des éclats de voix isolés, des apostrophes insultantes, des sarcasmes atroces jaillissaient aux éclats de rire de la foule ; tantôt des rumeurs soudaines, immenses, confuses, sortaient de ces vagues d’hommes, et, s’élevant jusqu’aux toits, laissaient saisir seulement les dernières syllabes de ces acclamations prolongées : Vive la nation ! Vivent les sans culottes ! À bas le veto ! Ce tumulte pénétrait du dehors jusque dans la salle du Manége, où siégeait en ce moment l’Assemblée législative. La tête du cortége s’arrêta à ses portes ; les colonnes inondèrent la cour des Feuillants, la cour du Manége et toutes les avenues de la salle. Ces cours, ces avenues, ces passages qui masquaient alors la terrasse du jardin, occupaient l’espace libre qui s’étend aujourd’hui entre le jardin des Tuileries et la rue Saint-Honoré, cette artère centrale de Paris. Il était midi.