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Bible ; c’était le patriotisme d’une Judith. » Elle proposait de bâtir le palais de la représentation nationale sur l’emplacement de la Bastille : « Pour fonder et pour embellir cet édifice, dépouillons-nous, dit-elle un jour, de nos bracelets, de notre or, de nos pierreries. J’en donne l’exemple la première, » et elle se dépouilla sur la tribune. Son ascendant était tel sur les émeutes, qu’un geste d’elle condamnait ou absolvait les victimes. Les royalistes tremblaient de la rencontrer.

En ce temps, par un de ces hasards qui ressemblent aux vengeances préméditées de la destinée, elle reconnut dans Paris le jeune gentilhomme belge qui l’avait séduite et abandonnée. Son regard apprit à son séducteur les dangers qu’il courait. Il voulut les conjurer, il vint implorer son pardon. « Mon pardon ! lui dit-elle ; et de quel prix pourriez-vous le payer ? Mon innocence ravie, mon honneur perdu, celui de ma famille terni, mon frère et mes sœurs poursuivis dans leur pays par le sarcasme de leurs proches, la malédiction de mon père, mon exil de ma patrie, mon enrôlement dans l’infâme caste des courtisanes, le sang dont je souille et dont je souillerai mes mains, ma mémoire exécrée parmi les hommes, cette immortalité de malédiction s’attachant à mon nom à la place de cette immortalité de la vertu, dont vous m’avez appris à douter : voilà ce que vous voulez racheter ! Voyons, connaissez-vous sur la terre un prix capable de me payer tout cela ? » Le coupable se tut. Théroigne n’eut pas la générosité de lui pardonner. Il périt aux massacres de septembre. À mesure que la Révolution devint plus sanguinaire, elle s’y plongea davantage.

Elle ne pouvait plus vivre que de la fièvre des émotions publiques. Cependant son premier culte pour Brissot se ré-