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La place de la Bastille, immense carrefour sur lequel débouchaient comme autant de fleuves les nombreuses rues du faubourg Saint-Antoine, qui se joint par le quartier de l’Arsenal et par un pont au faubourg Saint-Marceau, peuplé de deux cent mille ouvriers, et qui, par le boulevard ouvert devant l’ancienne forteresse, a une marche libre et large sur le centre de la ville et sur les Tuileries, fut le rendez-vous assigné aux rassemblements, et le point de départ des colonnes. Elles devaient être divisées en trois corps. Une pétition à présenter à l’Assemblée et au roi contre le veto au décret sur les prêtres et au camp de vingt mille hommes devait être l’objet avoué du mouvement ; le rappel des ministres patriotes Roland, Servan, Clavière, le mot d’ordre ; la terreur du peuple semée dans Paris et portée jusque dans le château des Tuileries, l’effet de la journée. Paris s’attendait à cette visite des faubourgs. Un dîner de cinq cents couverts avait eu lieu la veille aux Champs-Élysées.

Le chef des fédérés de Marseille, les agitateurs des quartiers du centre y avaient fraternisé avec les Girondins. L’acteur Dugazon y avait chanté des couplets menaçants contre le château. De sa fenêtre aux Tuileries, le roi avait entendu les applaudissements et les chants sinistres qui montaient jusqu’à son palais. Quant à l’ordre de la marche, aux emblèmes grotesques, aux armes étranges, aux costumes hideux, aux drapeaux sanglants, aux propos forcenés qui devaient signaler l’apparition de cette armée des faubourgs dans les rues de la capitale, les conjurés ne prescrivirent rien. Le désordre et l’horreur faisaient partie du programme. Ils s’en rapportèrent à l’inspiration désordonnée de la foule, et à cette rivalité de cynisme qui s’établit de