Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nations qui se fondent, est aussi le dernier asile de l’autorité quand les nations se décomposent. Avant de tomber dans la plèbe, le pouvoir s’arrête un moment dans le conseil des magistrats de la cité. L’hôtel de ville était devenu les Tuileries du peuple. Après La Fayette et Bailly, Pétion y régnait : cet homme était le roi de Paris. La populace, qui a l’instinct des situations, l’appelait le roi Pétion. Il avait acheté sa popularité, d’abord par ses vertus privées, que le peuple confond presque toujours avec les vertus publiques, puis par des discours démocratiques à l’Assemblée constituante. L’équilibre habile qu’il maintenait aux Jacobins entre les Girondins et Robespierre l’avait rendu respectable et important. Ami de Roland, de Robespierre, de Danton, de Brissot à la fois, suspect de liaisons trop intimes avec madame de Genlis et le parti du duc d’Orléans, il se couvrit toujours néanmoins d’un manteau de dévouement légal à l’ordre et d’une superstition constitutionnelle. Il avait ainsi tous les titres apparents à l’estime des hommes honnêtes et aux ménagements des factions ; mais le plus grand de tous était sa médiocrité. La médiocrité, il faut l’avouer, est presque toujours le sceau de ces idoles du peuple : soit que la foule, médiocre elle-même, n’ait de goût que pour ce qui lui ressemble ; soit que les contemporains jaloux ne puissent jamais s’élever jusqu’à la justice envers les grands caractères et les grandes vertus ; soit que la Providence, qui distribue les dons et les facultés avec mesure, ne permette pas qu’un seul homme réunisse en soi, chez un peuple libre, ces trois forces irrésistibles : la vertu, le génie et la popularité ; soit plutôt que la faveur constante de la multitude soit une chose de telle nature que son prix dépasse sa valeur aux yeux des hommes