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Toutes les espérances de la philosophie sont déçues. Les préjugés et la tyrannie s’empareront de nouveau de la terre. Prévenons ce malheur ; et, si le Nord est asservi, portons avec nous la liberté dans le Midi, et fondons-y quelque part une colonie d’hommes libres ! » Sa femme pleurait en l’écoutant. Je pleurais moi-même en la regardant. Oh ! combien les épanchements de la confiance soulagent et fortifient les âmes attristées ! Je fis le tableau rapide des ressources et des espérances de la liberté dans le Midi. Une joie douce se répandit sur le front de Roland ; il me serra la main, et nous traçâmes sur une carte géographique de la France les limites de cet empire de la liberté : elles s’étendaient du Doubs, de l’Ain et du Rhône jusqu’à la Dordogne, et des montagnes inaccessibles de l’Auvergne jusqu’à la Durance et jusqu’à la mer. J’écrivis sous la dictée de Roland pour demander à Marseille un bataillon et deux pièces de canon. Ces bases convenues, je quittai Roland, pénétré de respect pour lui et pour sa femme. Je les ai revus depuis, pendant leur second ministère, aussi simples que dans leur humble retraite. Roland est de tous les modernes l’homme qui me semble le plus se rapprocher de Caton : mais, il faut le dire ici, c’est à sa femme qu’il a dû son courage et ses talents. »

C’est ainsi que la pensée d’une république fédérative naquit dans la première entrevue de Barbaroux et de madame Roland. Ce qu’ils rêvaient comme une mesure désespérée de liberté, on leur reprocha plus tard de l’avoir tramé comme un complot. Ce premier soupir de patriotisme de deux âmes qui se rencontraient et qui se devinaient fut leur attrait et leur crime.