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vengeance. « Me voilà chassé, dit Roland à sa femme en rentrant chez lui. Je n’ai qu’un regret, c’est que nos lenteurs nous aient empêchés de prendre l’initiative. » Madame Roland se retira dans un modeste appartement, sans rien perdre de son influence et sans regretter le pouvoir, puisqu’elle emportait dans sa retraite son génie, son patriotisme et ses amis. La conjuration ne fit que changer de place avec elle ; du ministère de l’intérieur elle passa tout entière dans le petit cénacle qu’elle réunissait et qu’elle inspirait de sa passion.

Ce cercle s’agrandissait tous les jours. L’attraction de cette femme se confondait dans le cœur de ses amis avec l’attraction de la liberté. Ils adoraient en elle la république future. L’amour que ces jeunes hommes ne s’avouaient pas pour elle faisait à leur insu partie de leur politique. Les idées ne deviennent actives et puissantes que quand le sentiment les vivifie. Elle était le sentiment de son parti.

Ce parti se recruta en ce temps-là d’un homme étranger à la Gironde, mais que sa jeunesse, sa rare beauté et son énergie devaient jeter naturellement dans cette faction de l’illusion et de l’amour gouvernée par une femme. Ce jeune homme était Barbaroux.

Barbaroux n’avait alors que vingt-six ans. Il était né à Marseille d’une de ces familles de navigateurs qui conservent dans les mœurs et dans les traits quelque chose de la hardiesse de leur vie et de l’agitation de leur élément. L’élégance de sa stature, la grâce idéale de son visage, rappelaient les formes accomplies qu’adorait l’antiquité dans les statues de l’Antinoüs. Le sang de cette Grèce asiatique dont Marseille est une colonie se révélait par la pureté du profil dans le jeune Phocéen. Aussi richement doué