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son petit-fils. Toute la jeune noblesse militaire du royaume, à l’exception des partisans de la constitution, avait quitté ses garnisons ou ses châteaux pour venir s’enrôler dans cette croisade des rois contre la Révolution française.

Ce mouvement, qui paraît impie aujourd’hui puisqu’il armait des citoyens contre leur patrie et qu’il implorait des armes étrangères pour combattre la France, n’avait pas alors aux yeux de la noblesse française ce caractère parricide que le patriotisme mieux éclairé de ces derniers temps lui attribue. Coupable devant la raison, il s’expliquait du moins devant le sentiment. L’infidélité à la patrie était la fidélité au roi, et cette fidélité s’appelait honneur.

La foi au trône était la religion de la noblesse française. La souveraineté du peuple lui paraissait un dogme insolent contre lequel il fallait tirer l’épée, sous peine d’en partager le crime. Cette noblesse avait patiemment supporté les abaissements et les dépouillements personnels de titres et de fortune que l’Assemblée constituante lui avait imposés par la destruction des derniers vestiges de la féodalité, ou plutôt elle avait généreusement fait elle-même ces sacrifices à la patrie dans la nuit du 6 août. Mais les outrages au roi lui avaient paru plus intolérables que ses propres outrages. Le délivrer de sa captivité, l’arracher à ses périls, sauver la reine et ses enfants, rétablir la royauté dans sa plénitude, ou mourir en combattant pour cette sainte cause, lui paraissait le devoir de sa situation et de son sang. L’honneur d’un côté, la patrie de l’autre ; elle n’avait pas hésité : elle avait suivi l’honneur. Il se sanctifiait encore à ses yeux par le mot magique de dévouement. En effet, il y avait un dévouement réel à ces jeunes gens et à ces vieillards d’abandonner leurs grades dans l’armée,