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il est économe même pour ses passions. Sa maîtresse, mademoiselle de Hartfeld, est la femme la plus raisonnable de sa cour. Véritable Alcibiade, il aime le plaisir, mais il ne le prend jamais sur son travail. Est-il à son rôle de général prussien, personne n’est aussi matinal, aussi actif, aussi minutieusement exact que lui. Sous une apparence calme qui vient de la possession exercée de lui-même, son imagination brillante et sa verve ambitieuse l’emportent souvent ; mais la circonspection qu’il s’impose et le soin réfléchi de sa gloire le retiennent et le ramènent à des hésitations qui sont peut-être son seul défaut. » Mirabeau prédit dès cette époque au duc de Brunswick la suprême influence dans les affaires de l’Allemagne après la mort du roi de Prusse, que l’Allemagne appelait le grand roi.

Le duc avait alors cinquante ans. Il se défendait dans ses conversations avec Mirabeau d’aimer la guerre. « Jeux de hasard que les batailles, disait-il au voyageur français. Je n’y ai pas été malheureux jusqu’ici. Qui sait si aujourd’hui, quoique plus habile, je serais aussi bien servi par la fortune ! » Un an après cette parole, il faisait l’invasion triomphante de la Hollande à la tête des troupes de l’Angleterre. Quelques années plus tard, l’Allemagne le désignait pour son généralissime.

Mais la guerre à la France, qui souriait à son ambition de soldat, répugnait à son âme de philosophe. Il sentait qu’il combattrait mal les idées dont il avait été nourri. Mirabeau avait dit de lui ce mot profond qui prophétisait ses mollesses et les défaites de la coalition guidée par ce prince : « Cet homme est d’une trempe rare, mais il est trop sage pour être redoutable aux sages. »

Ce mot explique l’offre de la couronne de France faite au