Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ils n’en ont pas moins courtisé les rois et les grands, dont ils ont tiré un assez bon parti. (On rit.) Vous n’oubliez pas avec quel acharnement ils ont persécuté le génie de la liberté dans la personne de Jean-Jacques, le seul philosophe qui ait mérité, selon moi, ces honneurs publics prodigués depuis quelque temps par l’intrigue à tant de charlatans politiques et à de si méprisables héros. Brissot devrait du moins m’en savoir gré. Où était-il pendant que je défendais cette société des Jacobins contre l’Assemblée constituante elle-même. Sans ce que j’ai fait à cette époque, vous ne m’auriez point outragé dans cette tribune, car elle n’existerait pas. Moi le corrupteur, l’agitateur, le tribun du peuple ! Je ne suis rien de tout cela. Je suis peuple moi-même. Vous me reprochez d’avoir quitté ma place d’accusateur public ! Je l’ai fait quand j’ai vu que cette place ne me donnerait d’autre droit que celui d’accuser des citoyens pour des délits civils, et m’ôterait le droit d’accuser les ennemis politiques. Et c’est pour cela que le peuple m’aime. Et vous voulez que je me condamne à l’ostracisme pour me soustraire à sa confiance. L’exil ! De quel front osez-vous me le proposer ! Et où voulez-vous que je me retire ? Quel est le peuple où je serai reçu ? Quel est le tyran qui me donnera asile ? Ah ! on peut abandonner sa patrie heureuse, libre et triomphante ; mais sa patrie menacée, déchirée, opprimée, on ne la fuit pas, on la sauve ou l’on meurt pour elle ! Le ciel qui me donna une âme passionnée pour la liberté, et qui me fit naître sous la domination des tyrans ; le ciel, qui plaça ma vie au milieu du règne des factions et des crimes, m’appelle peut-être à tracer de mon sang la route du bonheur et de la liberté des hommes. Exigez-vous de moi un autre sacrifice ? Celui de ma renommée, je vous la livre : je