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combattant les protecteurs et les tribuns !… Les tribuns, voilà les vrais ennemis du peuple. Ils le flattent pour l’enchaîner ; ils sèment les soupçons sur la vertu qui ne veut pas s’avilir. Rappelez-vous ce qu’étaient Aristide et Phocion : ils n’assiégeaient pas toujours la tribune. »

Brissot, en lançant ce trait, se tourne vers Robespierre, à qui il adressait l’injure indirecte. Robespierre pâlit et relève brusquement la tête. « Ils n’assiégeaient pas toujours la tribune, répète Brissot ; ils étaient à leurs postes, aux camps ou dans les tribunaux. (Un rire ironique parcourt les rangs des Girondins, qui accusaient Robespierre d’abandonner son poste dans le danger.) Ils ne dédaignaient aucun emploi, quelque modeste qu’il fût, quand il était imposé par le peuple ; ils parlaient peu d’eux-mêmes, ils ne flattaient pas les démagogues, ils ne dénonçaient jamais sans preuves ! Les calomniateurs n’épargnèrent pas Phocion. Il fut victime d’un adulateur du peuple !… Ah ! ceci me rappelle l’horrible calomnie vomie sur Condorcet ! Qui êtes-vous pour calomnier ce grand homme ? Qu’avez-vous fait ? Où sont vos travaux, vos écrits ? Pouvez-vous citer, comme lui, tant d’assauts livrés pendant trente ans, avec Voltaire et d’Alembert, au trône, à la superstition, aux préjugés, à l’aristocratie ? Où en seriez-vous, où serait cette tribune, sans ces grands hommes ? Ce sont vos maîtres, et vous insultez ceux qui ont donné la voix au peuple !… Vous déchirez Condorcet, quand sa vie n’est qu’une suite de sacrifices ! Philosophe, il s’est fait politique ; académicien, il s’est fait journaliste ; courtisan, il s’est fait peuple ; noble, il s’est fait Jacobin !… Prenez-y garde, vous suivez les impulsions cachées de la cour… Ah ! je n’imiterai pas mes adversaires, je ne répéterai pas ces bruits qui répandent qu’ils sont