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Lahontan.

Je viens, Adario, dans ta Cabane, pour y visiter ton grand-Pére qu’on m’a dit estre à l’extrémité. Il est à craindre que ce bon Vieillard ne soit long-temps incommodé de la douleur dont il se plaint. Il me semble qu’un homme comme luy de soixante & dix ans pourroit bien s’empêcher d’aller encore à la chasse des Tourterelles. J’ay remarqué, depuis long-temps que vos vieilles gens sont toûjours en mouvement, & en action ; c’est le moyen d’épuiser bien viste le peu de forces qu’il leur reste ; Ecoute, il faut envoyer un des Esclaves chez mon Chirurgien, qui entend assez bien la médecine, & je suis asseuré qu’il le soulagera dans le moment ; sa fiévre est si peu de chose qu’il n’y a pas lieu d’apréhender pour sa vie, à moins qu’elle n’augmente.

Adario.

Tu sçais bien, mon cher Frére, que je suis l’ennemi capital de vos Médecins, depuis que j’ay veu mourir entre leurs mains dix ou douze personnes, par la tirannie de leurs remédes. Mon Grand-Pére que tu prens pour une homme de soixante & dix ans en a 98. il s’est marié à 30. ans. Mon Pére en a 52 ; & j’en ay 35 ; il est vray qu’il est d’un bon tempéramment & qu’on ne luy doneroit pas cet âge-là en Europe, où les gens finissent de meilleure heure. Je te feray voir quatorze ou quinze Vieillards, un de ces jours, qui passent cent années, un qui en a cent vint & quatre, & il en est mort un autre, il y a six