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c’est l’Aritmétique ; il faut que je t’avoüe que cette sçience me plaît infiniment, quoique pourtant ceux qui la sçavent ne laissent pas de faire de grandes tromperies ; aussi je n’aime de toutes les Vocations des François, que le commerce, car je le regarde comme la plus légitime, & qui nous est la plus nécessaire. Les Marchands nous font plaisir ; quelques uns nous portent quelquefois de bonnes marchandises, il y en ta de bons & d’équitables, qui se contentent de faire un petit gain. Ils risquent beaucoup ; ils avancent, ils prêtent, Ils attendent ; enfin je connois bien des Négocians qui ont l’ame juste & raisonnable ; & à qui nôtre Nation est trés redevable ; d’autres pareillement qui n’ont pour but que de gagner excessivement sur des marchandises de belle apparence, & de peu de raport, comme sur les haches, les chaudiéres, la poudre, les fusils &c. que nous n’avons pas le talent de connoitre. Cela te fait voir qu’en tous les états des Européans, il y a quelque chose à redire ; il est trés-constant que si un Marchand n’a pas le cœur droit, & s’il n’a pas assez de vertu pour résister aux tentations diverses ausquelles le négoce l’expose, il viole à tout moment les Loix de la justice, de l’équité, de la charité, de la sincérité, & de la bonne foy. Ceux-là sont méchans, quand ils nous donnent de mauvaises marchandises, en échange de nos Castors, qui sont des peaux où les aveugles mêmes ne sçauroient se tromper en les maniant. C’est assez, mon cher Frére, je me retire au Village, où je t’attendray demain aprés midi.