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Non, mon Frére, j’aime mieux vivre sans le sçavoir, que de lire & d’écrire des choses que les Hurons ont en horreur. Nous avons assez de nos Hiéroglifes pour ce qui regarde la chasse & la guerre ; tu sçais bien que les Caractéres que nous faisons autour d’un arbre pelé, en certains passages, comprénent tout le succez d’une Chasse, ou d’un parti de guerre ; que tous ceux qui voyent ces marques les entendent. Que faut il davantage ? La communauté de biens des Hurons n’a que faire d’écriture, il n’y a ni poste, ni chevaux dans nos forêts pour envoyer des Courriers à Quebec ; Nous faisons la paix & la guerre sans écrit, seulement par des Ambassadeurs qui portent la parole de la Nation. Nos limites sont réglez aussi sans écrits. A l’égard des Sçiences que vous conoissez, elles nous seroient inutiles ; car pour la Géografie, nous ne voulons pas nous embarasser l’esprit en lisant des livres de Voyages qui se contredisent tous, & nous ne sommes pas gens à quitter nôtre Païs dont nous conoissons, comme tu sçais, jusqu’au moindre petit ruisseau, à quatre cens lieues à la ronde. L’Astronomie, ne nous est pas plus avantageuse, car nous contons les années par Lunes, & nous disons j’ay tant d’hivers pour dire tant d’années. La Navigation encore moins, car nous n’avons point de Vaisseaux. Les Fortifications non plus ; un Fort de simples palissades nous garentit des fléches & des surprises de nos Ennemis, à qui l’artillerie est inconnue. En un mot, vivant comme nous vivons, l’écriture ne nous serviroit de rien. Ce que je trouve de beau,