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mes, des présens aux Dames, il passera par tout pour un homme d’esprit de mérite & de capacité ; on dira que c’est le Roy des Hurons ; on publiera par tout que son Païs est couvert de mines d’or, que c’est le plus puissant Prince de l’Amérique ; qu’il est sçavant ; qu’il dit les plus agréables choses du monde en Conversation ; qu’il est redouté de tous ses Voisins ; enfin ce sera un homme d’honneur, tel que la plûpart des Laquais le deviennent en France ; aprés qu’ils ont sçeu trouver le moyen d’attraper assez de richesses pour paroître en ce pompeux équipage, par mille voyes infames & détestables. Ha ! mon cher Frére, si je sçavois lire, je découvrirois de belles choses, que je ne sçay pas, & tu n’en serois pas quitte pour les défauts que j’ay remarquez parmi les Européans ; j’en aprendrois bien d’autres, en gros & en détail, alors je croy qu’il n’y a point d’état ou de vocation sur lesquels je ne trouvasse bien à mordre. Je croi qu’il vaudroit bien mieux pour les François qu’ils ne sçeussent ni lire ni écrire ; je voy tous les jours mille disputes ici entre les Coureurs de Bois pour les Ecrits, lesquels n’aportent que des chicanes & des procez. Il ne faut qu’un morceau de papier, pour ruïner une famille ; avec une lettre la femme trahit son mari & trouve le moyen de faire ce qu’elle veut ; la mère vend sa fille ; les Faussaires trompent qui ils veulent. On écrit tous les jours dans des livres des menteries, & des impertinences horribles ; & puis tu voudrois que je sçeusse lire & écrire, comme les François ?