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mal à personne sont enlevez impitoyablement de leur Païs natal, pour maudire, mille fois le jour, dans les chaines, pére & mére, vie naissance, l’Univers & le grand Esprit. Ainsi languissent les Iroquois qu’on y envoya il y a deux ans. Me seroit-il possible de faire ni dire du mal de mes Amis, de caresser mes ennemis, de m’enyvrer par compagnie, de mépriser & bafouer les malheureux, d’honorer les méchans & de traiter avec eux ; de me réjoüir du mal d’autruy, de loüer un homme de sa méchanceté ; d’imiter les envieux, les traîtres, les flateurs, les inconstans, les menteurs, les orgueilleux, les Avares, les intéressez, les raporteurs & les gens à double intention ? Aurois-je l’indiscrétion de me vanter de ce que j’aurois fait, & de ce que je n’aurois pas fait ? Aurois-je la bassesse de ramper comme une couleuvre aux pieds d’un Seigneur, qui se fait nier par ses Valets ? Et comment pourrois je ne me pas rebuter de ses refus ? Non, Mon cher Frére, je ne sçaurois être François : j’aime bien mieux être ce que je suis, que de passer ma vie dans ces Chaines. Est-il possible que notre liberté ne t’enchante pas ! peut-on vivre d’une maniére plus aisée que la nôtre ? Quand tu viens pour me voir dans ma Cabane, ma femme & mes filles ne te laissent-elles pas seules avec moy, pour ne pas interrompre, nos conversations ? De même, quand tu viens voir ma femme, ou mes filles ne te laisse-t-on pas seul avec celle des deux que tu viens visiter ? N’es tu pas le maître en quelque Cabane du Village où tu puisses aller, de demander à manger de tout ce que tu sçais y avoir de