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ces seules soûmissions me dégoûteroient entierement de vivre à l’Européane, & puis tu me viendras dire, qu’un Huron, se feroit aisément François ! il trouveroit bien d’autres difficultez que celles que tu viens de dire. Car supposons que dez demain je me fisse François, il faudroit commencer pas être Chrestien, c’est un point dont nous parlâmes assez il y a trois jours. Il faudroit me faire faire la barbe tous les trois jours, car apparamment dez que je serois François, je deviendrois velu & barbu comme une bête ; cette seule incommodité me paroît rude. N’est-il pas plus avantageux de n’avoir jamais de barbe, ni de poil au corps ? As-tu vû jamais de Sauvage qui en ait eû ? pourrois-je m’acoutumer à passer deux heures à m’habiller, à m’accommoder, à métre un habit bleu, des bas rouges, un chapeau noir, un plumet blanc, & des rubans verts ? Je me regarderois moy-même comme un fou. Et comment pourrois-je chanter dans les rues, danser devant les miroirs, jetter ma perruque tantôt devant, tantôt derriére ? Et comment me réduirois-je à faire des révérences & des prosternations à de superbes fous ; en qui je ne connoîtrois d’autre méri-te que celui de leur naissance & de leur fortune ? Comment verrois-je languir les Nécessiteux, sans leur donner tout ce qui seroit à moy ? Comment porterois je l’épée sans exterminer un tas de scélerats qui jettent aux Galéres mille pauvres étrangers, les Algériens, Salteins Tripolins, Turcs qu’on prend sur leurs Côtes, & qu’on vient vendre à Marseille pour les Galéres, qui n’ayant jamais fait de