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fait chaud ? Au moins tu vois que nous ne le sommes pas tant que nous n’ayons le devant & le derriére couverts. Il vaut bien mieux aller nû que de suer continuellement sous le fardeau de tant de vêtemens, les uns sur les autres. Quel embarras trouves-tu encore de manger, chanter & danser en bonne Compagnie ? Cela ne vaut-il pas mieux que d’être seul à Table, ou avec des gens qu’on n’a jamais ni veus ni connus ? Il ne resteroit plus donc qu’à vivre sans complimens, avec des gens incivils. C’est une peine qui te parôit assez grande, qui cependant ne l’est point. Dis moy, la Civilité ne se réduit-elle pas à la bienséance & à l’affabilité ? Qu’est ce que bienséance ? N’est-ce pas une gêne perpétuelle, & une affectation fatiguante dans ses paroles, dans ses habits, & dans sa contenance ? Pourquoy donc aimer ce qui embarasse ? Qu’est ce que l’affabilité ? N’est ce pas assûrer les gens de notre bonne volonté à leur rendre service, par des caresses & d’autres signes extérieurs ? Comme quand vous dites à tout moment, Monsieur, je suis vôtre serviteur, vous pouvés disposer de moy. Aquoi toutes ces paroles aboutissent-elles ? Pourquoy mentir à tout propos, & dire le contraire de ce qu’on pense ? Ne te semble-t’il pas mieux de parler comme ceci. Te voilà donc, sois le bien venu, car je t’honore, N’est-ce pas une grimace éfroyable, que de plier dix fois son corps, baisser la main jusqu’à terre, de dire à tous momens, je vous demande pardon, à vos Princes, à vos Ducs, & autres dont nous venons de parler ? Sçache, mon Frére, que