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Adario.

À ce conte-là tu préféres l’esclavage à la liberté ; je n’en suis pas surpris, aprés toutes les choses que tu m’as soûtenues. Mais, si par hasard, tu rentrois en toy même, & que tu ne fusse pas si prévenu en faveur des mœurs & des maniéres des François, je ne voi pas que les difficultez dont tu viens de faire mention, fussent capables de t’empêcher de vivre comme nous. Quelle peine trouves-tu d’aprouver les contes des vieilles gens, comme des jeunes ? N’as-tu pas la même contrainte quand les Jésuïtes & les gens qui sont au dessus de toy, disent des Extravagances ? Pourquoy ne vivrois-tu pas de boüillons de toutes sortes de bonnes viandes ? Les perdrix, poulets d’Inde, liévres, canards, Cheureuils ne sont-ils pas bons rôtis & boüillis ? À quoy sert le poivre, le sel & mille autres épiceries, si ce n’est à ruïner la santé ? Au bout de quinze jours tu ne songerois plus à ces drogues. Quel mal te feroient les couleurs sur le visage ? Tu te mets bien de la poudre & de l’essence aux cheveux, & même sur les habits ? N’ay-je pas veu des François qui portent des moustaches, comme les Chats, toutes couvertes de Cire ? Pour la boisson d’eau d’érable elle est douce, salutaire, de bon gôut & fortifie la poitrine : je t’en ay veu boire plus de quatre fois. Au lieu que le vin & l’eau de vie détruisent la chaleur naturelle, afoiblissent l’estomac, brûlent le sang, enyvrent, & causent mille désordres. Quelle peine aurois-tu d’aller nû pendant qu’il