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être ; la vie seroit ennuyeuse si l’esprit ne nous portoit à désirer à tout moment quelque chose de plus que ce que nous possédons : & c’est ce qui fait le bonheur de la vie, pourvû que ce soit par des voïes légitimes.

Adario.

Quoy ! n’est ce pas plûtôt mourir en vivant, que de tourmenter son esprit à toute heure, pour aquérir des Biens ou des Honneurs, qui nous dégoûtent dez que nous en joüissons ? d’afoiblir son corps & d’exposer sa vie pour former des entreprises qui échouent le plus souvent ? Et puis tu me viendras dire que ces grands Seigneurs sont élevez dans l’ambition, & dans le trouble, comme nous dans le travail & la fatigue. Belle comparaison pour un homme qui sçait lire & écrire ! Dis-moy je te prie, ne faut-il pas, pour se bien porter, que le corps travaille & que l’esprit se repose ? Au contraire, pour détruire la santé, que le corps se repose, & que l’esprit agisse ? Qu’avons-nous au monde de plus cher que la vie ? Pourquoy n’en pas profiter ? Les François détruisent leur santé par mille causes diférentes ; & nous conservons la nôtre jusqu’à ce que nos corps soient usez ; parce que nos ames exemptes de passions ne peuvent altérer ni troubler nos corps. Mais enfin les François hâtent le moment de leur mort par des voies légitimes ; voilà ta conclusion ; elle est belle, asseurément, & digne de remarque ! Croi-moy, mon cher Frére, songe à te faire Huron pour vivre long-temps. Tu boiras, tu mangeras, tu dormiras, &