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Lahontan.

Hé bien, tu veux donc que je croye les Hurons insensibles à leurs peines & à leurs travaux, & qu’ayant esté élevez dans la pauvreté & les soufrances, ils les envisagent d’un autre œil que nous ; cela est bon pour ceux qui n’ont jamais sorti de leur païs, qui ne connoissent point de meilleure vie que la leur, & qui n’ayant jamais été dans nos Villes, s’imaginent que nous vivons comme eux : mais pour toy, qui as été en France, à Quebec, & dans la Nouvelle Angleterre, il me semble que ton goût & ton discernement sont bien sauvages, de ne pas trouver l’estat des Européans préférable à celuy des Hurons. Y a-t-il de vie plus agréable & plus délicieuse au Monde que celle d’un nombre infini de gens riches à qui rien ne manque ? Ils ont de beaux Carosses, de belles Maisons ornées de tapisseries & de tableaux magnifiques ; de beaux Jardins où se cueuillent toutes sortes de fruits, des Parcs où se trouvent toutes sortes d’animaux, des Chevaux & des Chiens pour chasser, de l’argent pour faire grosse chére, pour aller aux Comédies & aux jeux, pour marier richement leurs enfans, ces gens sont adorés de leurs dépendans. N’as-tu pas vû nos Princes, nos Ducs, nos Maréchaux de France, nos Prélats & un million de gens de toutes sortes d’états qui vivent comme des Rois ; à qui rien ne manque, & qui ne se souviénent d’avoir vêcu que quand il faut mourir ?

Adario.

Si je n’estois pas si informé que je le suis