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sommes aux portes des Iroquois, que nous sçavons manier la hache & le coûteau, pour faire mille ouvrages nous-mêmes. Càr, si nous faisons toutes ces choses, pourquoy ne les feriés vous pas comme nous ? N’étes vous pas aussi grands, aussi forts, & aussi robustes ? Vos Artisans ne travaillent-ils pas à des ouvrages incomparablement plus difficiles & plus rudes que les nôtres ? Vous vivriés tous de cette maniére là, vous seriés aussi grands maîtres les uns que les autres. Vôtre richesse seroit, comme la nôtre, d’aquérir de la gloire dans le mêtier de la guerre, plus on prendroit d’esclaves, moins on travailleroit ; en un mot, vous seriez aussi heureux que nous.

Lahontan.

Appelles-tu vivre heureux, d’estre obligé de gîter sous une miserable Cabane d’écorce, de dormir sur quatre mauvaises couvertures de Castor, de ne manger que du rôti & du boüilli, d’être vêtu de peaux, d’aller à la chasse des Castors, dans la plus rude saison de l’année ; de faire trois cens lieües à pied dans des bois épais, abatus & inaccessibles, pour chercher les Iroquois ; aller dans de petits canots se risquer à périr chaque jour dans vos grands Lacs, quand vous voyagez. Coucher sur la dure à la belle étoile, lorsque vous aprochés des Villages de vos ennemis : être contrains le plus souvent de courir sans boire ni manger, nuit & jour, à toute jambe, l’un deçà, l’autre de là, quand ils vous poursuivent, d’estre réduits à la derniere des miséres, si par amitié & par commisération les Cou-