Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tr’eux. Ce ne seroit que les trente premières années aprés le banissement de l’intérêt qu’on versoir une étrange désolation ; car ceux qui ne sont propres qu’à boire, manger, dormir, & se divertir, mourroient en langueur ; mais leurs décendans vivroient comme nous. Nous avons assez parlé des qualitez qui doivent composer l’homme intérieurement comme sont la sagesse, la raison, l’équité &c. qui se trouvent chez les Hurons. Je t’ai fait voir que l’interêt les détruit toutes, chez vous ; que cet obstacle ne permet pas à celuy qui conoît cet intérêt d’être homme raisonable. Mais voyons ce que l’homme doit être extérieurement ; Premiérement, il doit sçavoir marcher, chasser, pêcher, tirer un coup de fléche ou de fusil, sçavoir conduire un Canot, sçavoir faire la guerre, conoître les bois, éstre infatiguable, vivre de peu dans l’ocasion, construire des Cabanes & des Canots, faire, en un mot, tout ce qu’un Huron fait. Voilà ce que j’apelle un homme. Car Di-moy, je te prie, Combien de millions de gens y-a-t il en Europe, qui, s’ils étoient trente lieües dans des forêts, avec un fusil ou des fléches, ne pourroient ni chasser de quoi se nourrir, ni même trouver le chemin d’en sortir. Tu vois que nous traversons cent lieües de bois sans nous égarer, que nous tuons les oiseaux & les animaux à coups de fléches, que nous prenons du poisson par tout où il s’en trouve, que nous suivons les hommes & les bêtes fauves à la piste, dans les prairies & dans les bois, l’été comme l’hiver que nous vivons de racines, quand nous