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de. Le Pere vend ses enfans, les Maris vendent leurs Femmes, les Femmes trahissent leurs Maris, les Fréres se tuent, les Amis se trahissent, & tout pour de l’argent, Di-moy, je te prie, si nous avons tort aprez cela, de ne vouloir point ni manier, ni même voir ce maudit argent.

Lahontan.

Quoy, sera-t-il possible que tu raisoneras tousjours si sottement ! au moins écoute une fois en ta vie avec attention ce que j’ay envie de te dire. Ne vois-tu pas bien, mon Ami, que les Nations de l’Europe ne pourroient pas vivre sans l’or & l’argent, ou quelque autre chose précieuse. Déja les Gentishommes, les Prêtres, les Marchans & mille autres sortes de gens qui n’ont pas la force de travailler à la terre, mourroient de faim. Comment nos Rois seroient-ils Rois ? Quels soldats auroient ils ? Qui est celuy qui voudroit travailler pour eux, ni pour qui que ce soit ? Qui est celuy qui se risqueroit sur la mer ? Qui est celuy qui fabriqueroit des armes pour d’autres que pour soi ? Croy-moy, nous serions perdus sans ressource, ce seroit un Cahos en Europe, une confusion, la plus épouvantable qui se puisse imaginer.

Adario.

Vraîment tu me fais là de beaux contes, quand tu parles des gentishommes, des Marchans & des Prêtres ! Est-ce qu’on en verroit s’il n’y avoit ni Tien ni Mien ? Vous seriez tous égaux, comme les Hurons le sont en-