Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de seroit renversé, en un mot ce seroit un désordre irrémédiable. Sçais tu bien, mon Frére, que c’est faire tort au grand Esprit de croire ces sotises. Car c’est l’accuser d’autorizer les méchancetez & d’être la cause directe de toutes celles que tu viens de raconter, en permettant à ce méchant Esprit de sortir de l’enfer. Si le grand Esprit est si bon que nous le sçavons toy & moy, il seroit plus croyable qu’il envoyât de bonnes Ames sous d’agréables figures, reprocher aux hommes leurs mauvaises actions & les inviter à l’amiable de pratiquer la vertu, en leur faisant une peinture du bonheur des Ames qui sont heureuses dans le bon Païs où elles sont. A l’égard de celles qui sont dans le Purgatoire (si tant est qu’il y ait un tel lieu) il me semble que le grand Esprit n’a guére besoin d’estre prié par des gens, qui ont assez affaire de prier pour eux-mêmes ; & qu’il pourroit bien leur donner la permission d’aller au Ciel, s’il leur acorde celle de venir sur la Terre. Ainsi, mon cher Frére, si tu me parles sérieusement de ces choses, je croiray que tu rêves, ou que tu as perdu le sens. Il faut qu’il y ait quelque autre méchanceté dans l’acusation de ces deux Jongleurs, ou bien vos Loix & vos Juges sont aussi fort déraisonables. La conclusion que je tirerois de ces méchancetez, si elles étoient vraïes ; c’est que puisqu’on ne voit rien de semblable chez aucun peuple de Canada, il faut absolument que ce méchant Esprit ait un pouvoir sur vous, qu’il n’a pas sur nous. Cela étant nous sommes donc de bonnes gens, & vous,