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que tu me dis ; car enfin je sçay le contraire, & ceux qui m’ont parlé des vices de ces Juges sont assûrément des gens d’esprit & d’honneur. Mais quand personne me m’en auroit informé, je ne suis pas si grossier que je ne voye moy-même l’injustice des Loix & des Juges. Ecoute un peu, mon cher Frere ; allant un jour de Paris à Versailles, je vis à moitié chemin un Païsan qu’on alloit foüéter pour avoir pris des perdrix & des liévres à des lacets. J’en vis un autre entre la Rochelle & Paris qu’on condamna aux galéres, parce qu’on le trouva saisi d’un petit sac de sel. Ces deux miserables hommes furent châtiez par ces injustes Loix, pour vouloir faire subsister leurs pauvres Familles ; pendant qu’un million de Femmes font des enfans en l’absence de leurs Maris ; que des Médecins font mourir les trois Carts des hommes, & que les Joüeurs mettent leurs familles à la mendicité, en perdant tout ce qu’ils ont au Monde, sans être châtiés ; Où sont donc ces Lois justes & raisonnables, où sont ces Juges qui ont une ame à garder comme toy & moy ? Aprés cela tu ozes encore dire que les Hurons sont des Bêtes ! Vraiment ce seroit quelque chose de beau si nous allions châtier un de nos Fréres pour des liévres & pour des perdrix ! Ce seroit encore une belle chose entre nous, de voir nos femmes multiplier le nombre de nos enfans pendant que nous allons en guerre contre nos ennemis. Des Médecins empoisonner nos familles, & des Joüeurs perdre les Castors de leurs chasses ; ce sont pourtant des bagatelles en