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extraordinaire, ils peuvent soufrir ces tourmens, sans avoüer ce crime qu’ils n’ont pas commis ; quelle santé, quelle vie leur en reste-t-il ? Non non, mon cher Frére, les Diables noirs, dont les Jésuites nous parlent tant, ne sont pas dans le Païs où les ames brûlent ; ils sont à Quebec & en France, avec les Loix, les faux Témoins, les commoditez de la vie, les Villes, les Forteresses & les plaisirs dont tu me viens de parler.

Lahontan.

Les Coureurs de Bois, & les autres qui t’ont fait de semblables contes, sans te raconter sur cela ce qu’ils ne connoissoient pas, sont des sots qui feroient mieux de se taire. Je veux t’expliquer l’affaire comme elle est. Supposons deux faux Témoins qui déposent contre un homme. On les met d’abord en deux Chambres séparées, où ils ne peuvent ni se voir ni se parler. On les interroge ensuite diverses fois l’un aprés l’autre, sur les mêmes déclarations qu’ils font contre l’Accusé ; & les Juges ont tant de conscience qu’ils employent toute l’industrie possible pour découvrir si l’un des deux, ou tous les deux ensemble, ne se coupent point. Si par hazard on découvre de la fausseté dans leurs témoignages, ce qui est aisé à voir, on les fait mourir sans remission. Mais s’il paroît qu’ils ne se contredisent en rien ; on les présente devant l’Accusé pour sçavoir s’il ne les recuse pas ; & s’il se tient à leur conscience. S’il dit que ouï, & qu’en suite ces Témoins jurent par le grand Dieu, qu’ils ont veu tuer, violer, piller, &c.