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jours. Ma foy, mon cher Frére, je te plains dans l’ame ; Croi-moy, fais toy Huron. Car je voi la diférence de ma condition à la tienne. Je suis maître de mon corps, je dispose de moy-même, je fais ce que je veux, je suis le premier & le dernier de ma Nation ; je ne crains personne, & ne dépens uniquement que du grand Esprit. Au lieu que ton corps & ta vie dépend de ton grand Capitaine ; son Viceroy dispose de toi, tu ne fais pas ce que tu veux, tu crains voleurs, faux témoins, assassins &c. Tu dépens de mille gens que les Emplois ont mis au dessus de toy. Est-il vray ou non ? sont-ce des choses improbables & invisibles ? Ha ! mon cher Frére, tu vois bien que j’ay raison ; cependant tu aimes encore mieux estre Esclave François, que libre Huron ; O le bel homme qu’un François avec ses belles Loix, qui croyant estre bien sage est assûrement bien fou ! puis qu’il demeure dans l’esclavage & dans la dépendance, pendant que les Animaux mêmes joüissant de cette adorable Liberté, ne craignent, comme nous, que des ennemis étrangers.

Lahontan.

En vérité, mon Ami, tes raisonnemens sont aussi sauvages que toy. Je ne concoi pas qu’un homme d’esprit & qui a esté en France & à la Nouvelle Angleterre puisse parler de la sorte. Que te sert-il d’avoir vû nos Villes, nos Forteresses, nos Palais, nos Arts, nôtre industrie & nos plaisirs ? Et quand tu parles de Loix sévéres, d’esclavage, & de mille autres sotises, il est seur que tu prêches contre ton sen-