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me selon vous autres. Tu vois bien que je parle juste, & que j’ay veu en France ces bons Prêtres noirs ne pas câcher leurs visages avec leurs chapeaux, quand ils voyent les femmes. Encore une fois, mon cher Frére, il est impossible de se passer d’elles à un certain âge, encore moins de n’y pas penser. Toute cette résistance, ces efforts dont tu parles, sont des contes à dormir debout. De même cette occasion que tu prétens qu’on évite en s’enfermant dans le Couvent, pourquoy soufre-t’on que les jeunes Prêtres ou Moines confessent des filles & des femmes ? Est-ce fuir les occasions ? n’est-ce pas plûtôt les chercher ? Qui est l’homme au monde qui peut entendre certaines galanteries dans les Confessionaux, sans être hors de soy même ? sur tout des gens sains, jeunes & robustes qui ne travaillent point, & ne mangent que des viandes nourrissantes, assaisonnées de cent drogues, qui échauffent assez le sang sans autre provocation. Pour moy je m’étonne aprez cela qu’il y ait un seul Ecclésiastique qui aille dans ce paradis du grand Esprit ; & tu ozes me soûtenir que ces gens-là se font Moines & Prêtres pour éviter le péché, pendant qu’il sont adonnez à toutes sortes de vices ? Je sçay par d’habiles François que ceux d’entre vous qui se font Prêtres ou Moines ne songent qu’à vivre à leur aise sans travail, sans inquiétude, de peur de mourir de faim, ou d’aller à l’Armée. Pour bien faire il faudroit que tous ces gens-là se mariassent, & qu’il demeurassent chacun dans leur ménage ; ou tout au moins ne recevoir de Prêtres ou de Moines au dessous de l’âge