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mourir, & cependant il a craint la mort ; voilà une contradiction en deux manieres. I. S’il avoit le dessein de naître pour mourir, il ne devoit pas craindre la mort. Car pourquoy la craint on ? C’est parcequ’on n’est pas bien assûré de ce qu’on deviendra en perdant la vie ; or il n’ignoroit pas le lieu où il devoit aller, donc il ne devoit pas être si efraïé. Tu. sçais bien que nous & nos femmes nous-nous empoisonons le plus souvent, pour nous aller tenir compagnie dans le païs des Morts lorsque l’un ou l’autre meurt ; tu vois donc bien que la perte de la vie ne nous éfarouche pas, quoique nous ne soïons pas bien certains de la route que nos ames prénent. Aprés cela que me répondras-tu ? II. Si le Fils du grand Esprit avoit autant de pouvoir que son Pére, il n’avoit que faire de le prier de lui sauver la vie, puisqu’il pouvoit lui même se garantir de la mort, & qu’en priant son Père il se prioit soi-même. Pour moy, mon cher Frére, je ne conçois rien de tout ce que tu veux que je conçoive.

Lahontan.

Tu avois bien raison de me dire tout à l’heure, que la portée de ton esprit ne s’étend pas un pouce au dessus de la superficie de la Terre. Tes raisonnemens le prouvent assez. Apres cela, je ne n’étonne pas si les Jésuites ont tant de peine à te prêcher, & à te faire entendre les saintes Veritez. Je suis fou de raisonner avec un Sauvage qui n’est pas capable de distinguer une supposition chimérique d’un principe assûré, ni une consequence bien tirée, d’une fausse. Comme, par exemple, lorsque