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lets dans le quatriéme, des Oronges[1] environées de petites Truites longues comme le doigt, dans le cinquiéme ; & une Tourte d’abricots dans le sixiéme. Aprez quoy l’on porta des boüillons jaunes comme le safran, dont ils estoient remplis. Voilà, Monsieur, en quoy consistoit la portion de chacun de nous. Cependant nôtre conversation ne roula que sur les Françoises. La Dame prétendoit que la grande liberté que les hommes ont en France, d’entrer chez les Femmes, de joüer, & de se promener avec elles, exposoit les plus sages & vertueuses à être deshonorées par des Indiscrets, & des Médisans ; qui pour se faire valoir gens à bonne fortune, diffament celles qui leur resistent. Enfin, aprez avoir bien déclamé contre les Maris, qui digérent paisiblement ces affronts, au lieu de se vanger, nous sortîmes de Table. Elle fit son salut ordinaire, en se retirant dans sa Chambre. Cependant je fis aussi ma retraite. Le Gentilhomme marcha toûjours devant moy, jusqu’à l’escalier, où il s’arrêta du côté gauche, afin de me laisser la main, en luy disant adieu. Il attendit que je fusse au pied de l’escalier pour recevoir un coup de chapeau ; ensuite nous nous perdîmes de veüe l’un & l’autre. Je vous raconte cette avanture

  1. Espece de champignons rouges dessus & jaunes dessous.